MENANA Christiane
Texte : Menana Christiane
Qui es-tu belle Vénus ?
Catégorie « œuvre individuelle »,
le jury a décerné à ce texte
la 7e place
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Tout s'était déroulé comme il l'avait prévu. Finalement, cela avait été un jeu d'enfant que de s'introduire de nuit au château du village et de faire main basse sur ce qui lui avait paru avoir de la valeur. Son plan minutieusement préparé dans les moindres détails avait marché à merveille. Il avait bien pris soin aussi de ne pas être suivi ensuite, une fois son forfait accompli. Mais qui pourrait avoir idée de venir creuser ici, dans ce petit lopin de terre abandonné sur les rives de l'Allier ? Le trou était suffisamment profond pour y enfouir la boîte de fer contenant les bijoux de la baronne. Le reste de l'argent, trouvé dans le vieux coffre-fort, il le cacha un peu plus loin, sous le cerisier. C'était là un bon petit magot qu'il viendrait rechercher lorsque les choses se seraient un peu tassées. Seulement comme le dit le vieil adage, « Bien mal acquis, ne profite jamais ».
Les quatre petits galopins de madame Gendre, âgés de sept à treize ans n'en faisaient vraiment qu'à leur tête au grand désespoir de leur pauvre mère. Ce jeudi-là, en dépit des éternelles mises en garde de leurs parents, comme à leur habitude, ils avaient sauté par-dessus les clôtures du champ voisin pour aller jouer les aventuriers près de la rivière. Ils étaient pirates â la recherche d'un fameux trésor perdu. En creusant sa cachette, Antoine, l'aîné de la fratrie ramena à la surface une grande boîte en fer qu'il ouvrit sous les yeux éblouis de ses frères.
Quelques jours plus tard, le journal « La Montagne titra : « En jouant près de l'Allier, des enfants trouvent les bijoux du vol du château. Avec le reste du butin, les gendarmes mettent au jour une mystérieuse statuette d'argile blanche qui semblerait être une Vénus protectrice datant du IIème siècle de la Gaule Romaine.
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Ce 20 juin 1938, petite figurine d'argile, je vis le jour pour la seconde fois entre les mains d'un archéologue accompagné d'un gendarme. Tout cela grâce à la désobéissance d'une bande de petits gamins. Après bien des péripéties, je sortais enfin d'un long sommeil de plus de mille ans. Vous êtes intrigués par mes propos et vous posez bien des questions à mon sujet. Laissez-moi vous conter mon histoire. Elle va vous étonner et vous émouvoir.
Vers l'an 50, vivaient non loin de la rivière nommée Elaver (Allier), des peuples gaulois artisans et potiers. Toutes les conditions favorables étaient réunies là., sur ces terres argileuses proches de la rivière pour rendre florissants leur activité et leur négoce. A cette époque, l'empire romain avait colonisé la Gaule. La romanisation profitait au commerce et aux nombreux ateliers locaux. Le modèle de raffinement dans l'art de vivre à la romaine s'imposait peu à peu. Les dieux gaulois s'intégraient à ceux des romains. De nombreuses petites figurines et animaux en argile blanche virent donc le jour dans les ateliers d'artisans. Elles furent vendues en très grand nombre aux quatre coins de la Gaule et de l'Europe.
En 210 après JC, je fus une de ces petites statuettes nées d'un des nombreux moulages, comme toutes mes sœurs. Nous étions apparemment toutes semblables mais pourtant légèrement différentes dans nos coiffures ou nos attitudes. J'étais une Venus protectrice, toute d'argile blanche, dévoilant de façon impudique les formes harmonieuses de mon corps, les bras étendus en signe de protection sur des enfants et des jeunes filles. J'étais le symbole même de la fécondité et de l'abondance.
Mais ne fallait-il pas aussi voir en moi l'image d'une Rome toute puissante marquant de son emprise et de sa protection le peuple gaulois ?
Le brave artisan, pour nourrir sa nombreuse famille fut fort content de me céder contre quelques pièces à une noble gauloise qui désirait orner son foyer et m'installer sur l'autel de sa villae. Je n'avais que peu de valeur, en simple argile blanche, mais je représentais beaucoup pour elle, affectivement. Elle était mère avec de nombreux enfants, une famille, du personnel, des esclaves. J'allais par ma présence, pensait-elle, lui apporter le bonheur, la prospérité et la sécurité.
Elle me disposa donc dans le meilleur endroit de son oratoire, parmi les Lares, tout à côté de la fontaine et de la nymphe des eaux. Ainsi, je pris part, au fil des années, à tous les évènements bons et moins bons de la maison gauloise des Natinus.
Quinze années passèrent. Une nuit d'été, la foudre tomba sur le domaine. Le feu se propagea rapidement, fit de nombreux dégâts mais, épargna par miracle, la famille et l'autel sur lequel j'étais posée. A partir de ce jour, les membres de la famille me vouèrent un véritable culte. Je devins le centre de toutes les dévotions.
La fille aînée de la famille, Livia était devenue en grandissant une vraie beauté et bientôt ses prétendants furent nombreux. Parmi eux, le plus assidu était un noble romain, Maximus, représentant de l'empire romain dans cette partie de la Gaule romaine. Les parents de Livia virent d'un très bon œil ce mariage tissant des liens entre gaulois et romains. Le dignitaire romain déjà âgé était un bon parti, fort riche. Il apporterait la sécurité et la respectabilité à la jeune fille. Celle-ci se plia de bonne grâce aux désirs de ses parents et l'épousa, mais sans véritable amour. Malheureusement, au bout de cinq années de mariage, aucun enfant ne leur était né. Je la voyais se désespérer et moi, petite figurine d'argile, ne pouvait rien pour la consoler. Pour comble de malheur, Maximus fut rappelé à Rome auprès de l'empereur. La famille fut attristée par cette séparation. La veille du départ, tout en larmes, Blandinia, la mère me confia à sa fille bien aimée, lui disant : « Qu'elle te garde, ma fille, et éloigne le mal de ton foyer et t'apporte ce que tu désires tant ».
A Rome, je fus disposée à nouveau au cœur du domus de Maximus. Je devins un peu la confidente à laquelle Livia avouait ses joies mais surtout ses peines. La vie était pourtant douce, son époux attentionné, mais il manquait cruellement une descendance pour que le couple soit pleinement heureux. Or, Maximus avançait en âge et la mort vint le faucher, un soir, sur les marches du Forum. Livia maintenant était veuve, mais toujours jeune et belle. Après la période de deuil, elle songea se mettre sous la protection d'un époux qu'elle-même choisirait et qui lui donnerait peut-être l'enfant tant désiré. Elle le rencontra aux thermes. Il se nommait Lucius et siégeait à la curie. Elle quitta sa propre villa de la colline Aventin pour se marier et aller vivre dans le Domus de son époux. Elle m'emporta avec elle et, en dépit des réticences de celui-ci, me plaça parmi les divinités romaines de son autel domestique.
Le bonheur de Livia fut complet l'année suivante avec la naissance d'un fils. Cet enfant grandit en beauté et sagesse. Plein de vie, il était l'âme de la maison. Du fonds de ma petite niche je l'observais en train de s'amuser auprès de la fontaine ou dans l'atrium. Quelquefois, il faisait mine de vouloir me saisir pour jouer. Bien vite, sa mère lui rappelait qu'il avait des figurines d'animaux en argile venant aussi de Gaule, pour cela.
Mais, il était dit que ce bonheur tant espéré ne devait pas durer. Le bel enfant de Lucius et Livia mourut à l'âge de six ans, près de la rivière Elaver. Il était venu accompagné de ses parents passer quelques temps en Gaule, dans le pays natal de sa mère. Par un bel après-midi d'été, alors qu'il jouait près de la rivière, son petit jouet lui échappa et partit au fil de l'eau. Le petit voulut le rattraper et s'avança jusqu'à perdre pied et se noya. Sa nourrice, ses parents, toute la famille furent inconsolables. Perdre son unique enfant était le pire malheur pour des parents. Le petit corps de l'enfant fut enterré près de la rivière, celle-là même qui était cause de son malheur. On le para et l'entoura de tous ses objets favoris. L'ultime geste d'amour de sa mère fut de me déposer près de lui pour que je l'aide dans son dernier voyage.
La boucle était bouclée. Il y avait bien des années, le destin m'avait entraîné loin de la Gaule, de ma rivière. J'y étais revenue pour assister à ce terrible drame puis disparaître, moi aussi à jamais. Il y a mille ans, j'étais morte avec cet enfant et je renaissais grâce à des enfants. Bien-sûr, mon retour à la lumière du jour, en cet été 1938 fut remarqué par des historiens, hommes de sciences, archéologues, journalistes. On fit cas de moi, on m'inspecta, me mesura, me photographia. J'eus droit à toutes les attentions. Puis la guerre arriva, l'occupation, des périodes troublées. Les années passèrent. On se désintéressa de moi. Mais, c'était sans compter sur la curiosité et l'enthousiasme d'un jeune conservateur et de son équipe qui entreprirent un beau jour, l'inventaire et la restauration du musée. Je sortis enfin des réserves où je me morfondais. Puis, immanquablement, vinrent les questions :
« - Qui es-tu, belle Vénus ?
- Quelle est ton histoire ?
- Raconte-nous la ».
Voilà c'est chose faite maintenant.
FIN
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