Citation : " (...)Viennent ensuite les nourrices (images de la terre nourricière), assises dans un fauteuil d'osier et allaitant  un ou deux enfants. Ce "lien du lait" est unique dans l'Occident romain, et typiquement gaulois." 

Maurice Franc "Les figurines de terre blanche de l'Allier" Bulletin de la Société d'Emulation du Bourbonnais, 1er trimestre 1990

CHAUVIN Anne

 

 

Texte : Chauvin Anne

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Placebo.

 

Venus protectrice photo dominique boutonnet
 

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Rome. Premier siècle avant Jésus-Christ.

Gaiement, Faustula émergea des thermes féminins, où elle s’était rendue avec quelques amies en vue de son bain quotidien, et remonta l'étroite rue pavée jusqu'au forum, où se tenait l'habituel marché. De nature allègre et alerte, la jeune Patricienne de vingt ans n'avait qu'un seul souci : la mélancolie de sa mère mourante, qui désespérait de voir sa fille mariée.

Certes, si les Moires avaient décidé de couper ici le fil de vie de l'Auteur de ses Jours, Faustula n'y pourrait rien changer. Cependant, comme elle s'en voulait de ne pouvoir lui offrir cette ultime satisfaction, afin que sa génitrice rejoigne sans regret le royaume d’Hadès ! Voir le Fruit de ses Entailles fonder à son tour un foyer, aux côtés d'un honnête et riche citoyen qui la protégerait et la chérirait...

Rêveuse, elle manqua, de peu, heurter de plein fouet l'échoppe d'un vieillard exposant de sublimes sculptures splendidement ouvragées.

- Holà, prenez garde, mademoiselle ! s'écria ce dernier en riant, Mais, dites-moi, vous mc semblez bien mélancolique. Quel mal peu donc ronger le cœur d'une jeune personne si élégante, et d'ordinaire si gaie ?

- Je souffre, vénérable vieillard, soupira Faustula, du mal qui peu à peu assassine ma mère. Hélas ! La malheureuse n'aspire depuis qu'elle m'a donné le Jour qu'à me voir mariée, et elle risque de mourir sans avoir connu ce bonheur.

Après une seconde d'hésitation, le commerçant murmura :

- Quelle coïncidence ! J'ai peut-être acquis tout récemment ce qu'il te faut. Vois-tu cette sublime statuette ? Il s'agit d'une divinité orientale protectrice des femmes. Quand tu la détiendras, elle palliera à tous tes tracas. Consulte-la chaque fois qu'un souci surviendra.

Incertaine, la fougueuse jeune fille scruta l'objet en question. Petit et raffiné, l'ouvrage représentait en effet une matrone enveloppée de voiles, au ventre opulent et au regard bienveillant. Comme elle désirait que le vieil homme dise vrai ! En désespoir de cause, elle s'enquit du prix... Qui s'avéra faramineux ! Pourtant, elle possédait quelques économies héritées de sa défunte grand-mère... Et que ne donnerait-elle pour le bonheur de sa mère ! Dans un instant de folie, elle s'acquitta du montant demandé et repartit avec, en plus de ses provisions, le petit bloc de marbre supposé lui permettre de trouver l'Amour avant que sa génitrice ne succombe.

Quelques mois passèrent. Ce jour-là, le firmament turquoise et chaud enserrait la Ville comme un moelleux berceau bienfaisant et affleuraient les premiers bourgeons du printemps. De retour du Théâtre où s'était jouée une tragédie peut-être un peu trop cruelle à son goût, Faustula trouva son frère aîné jouant aux dés avec son ami Marcus Fagus, fils d'un riche propriétaire terrien. Exténuée, elle s'installa sur une chaise et commença à suivre la partie. Soudain, son regard accrochant celui de Marcus, elle s'avisa qu'il ne ressemblait plus en rien au garçonnet joufflu et joyeux qu'elle connaissait d'antan. Son torse aussi vaste et puissant que le chêne centenaire, ses mains déliées et délicates, ses traits aussi finement ciselés que ceux d'une statue grecque, son menton volontaire, ses immenses iris d'obsidienne. . Saisie de vertige, elle manqua de peu choir de sa chaise, poussée par une force inconnue. Quand un tel changement était-il donc survenu ? Certainement de façon si progressive qu'elle n'y prêta guère attention...

Marcus, quant à lui, déposa les dés et adressa un sourire de connivence au frère de la jeune fille. Lui aussi avait perçu, depuis quelques temps, comme une énergie nouvelle émanant de Faustula, une assurance, une féminité mystérieuse et fascinante.

- Venons-en à l'objet initial de ma visite, décida-t-il. Faustula, depuis toujours je te chéris comme ma propre sœur, comme le plus précieux des trésors, voire davantage encore. Aussi, je voudrais, ayant obtenu l'accord de ton père et de ton frère, te demander ta main.

Abasourdie, stupéfiée, émerveillée, l'intéressée ne sut qu'acquiescer, dans un sourire de femme comblée.

On donna une fête flamboyante avec d'abondants banquets et des présents dignes du roi Midas. On convia l'ensemble de la famille. La mère de Faustula elle-même, fut autorisée à prendre part aux hyménées, escortée par un médecin qui, la voyant si ragaillardie par ce bonheur inouï, assura qu'elle vivrait certainement un an encore (se gardant bien de préciser bien sûr que, ce délai épuisé, sa survie semblait fort improbable).

Drapée de soie et d'une indicible Félicité, Faustula repensa un jour à la statue, songeant que sans nul doute cette dernière était à l'origine de sa chance. Par conséquent, ne pourrait-elle tenter de lui adresser un autre vœu ? En effet, puisque sa génitrice semblait désormais assurée de voir le printemps suivant, Faustula espérait pouvoir lui donner d'ici-là un petit-fils. Mais la Nature lui permettrait-elle de concevoir avant la funeste échéance ? Puisque son ventre tardait à s'arrondir, elle choisit d'adresser à la déesse protectrice de marbre une prière désespérée.

-  Retourne près du vieux marchand, tonna la statue d'une voix grave, puissante, envoûtante, et apporte lui cent bœufs qu'il sacrifiera sur mon autel. Alors seulement, ton souhait sera exaucé.

Excitée, exaltée, euphorisée par une réponse si prompte et si concrète, la future mère se mit en devoir de réunir les cent bœufs, qu'elle apporta diligemment au respectable commerçant.

Neuf mois plus tard exactement, l'aurore saluait les cris allègres du fils de Marcus Fagus. Quelle bénédiction pour sa grand-mère agonisante !

Cependant, déjà le souffle de la malade se raréfiait, et son regard lointain paraissait presque contempler les rives ténébreuses de l'Achéron. Affolée, Faustula supplia alors la minuscule sculpture bienfaitrice d'offrir davantage de sursis à sa mère.

- Retourne près du vieux marchand, dit à nouveau l'icône, et remet lui six oies qu'il sacrifiera à mon temple. Alors seulement, ton souhait sera exaucé.

Comme elle peina à réunir les six oies, ayant vu sa fortune fortement diminuée par l'acquisition des cent bœufs, et l'achat des biens nécessaires à sa progéniture nouvelle ! Pourtant elle s'en acquitta. Le surlendemain, sa mère rendit son dernier souffle et fut aussitôt portée en terre. Quel violent déchirement, après tant d’espoir !

Perplexe, Faustula alla interroger le vieux marchand. Pourquoi, selon lui, la statue avait-elle cette fois refusé de lui accorder son désir ? En quoi avait-elle mal agi ?

Toutefois, derrière l'échoppe où il se trouvait d'ordinaire, elle ne vit qu'une femme à la peau parcheminée semblant compter cent printemps, qui lui adressa ses mots :

- L'explication me paraît bien simple, chère enfant : comme tant d'autres, vous êtes victime de l'escroquerie de mon cousin, qui fut arrêté hier pour vente d'objets prétendus magiques, dont l'unique pouvoir consistait à demander aux acquéreurs de venir lui offrir des cadeaux et des sommes faramineuses. Nous ignorons comment ils les ont dotés de paroles, peut-être par quelques sorcelleries. -Mais.. C'est impossible ! Les larmes envahirent ses joues. La statue m'a pourtant exaucée à deux reprises !

- Là se trouve toute l'habileté du procédé, soupira l'inconnue, les désirs des victimes adviennent pour peu qu'elles aient une emprise dessus, lorsqu'elles demandent d'effectuer un voyage, d'écrire un livre, de trouver l'Amour, d'enfanter, d'apprendre une langue... la culpabilité liée à la forte somme versée les pousse à tout mettre en œuvre pour réussir. C'est en elles-mêmes qu'elles puisent une force dont elles s'ignoraient capables, c'est pourquoi, plaidait mon cousin, il était nécessaire et charitable de leur demander d'importants sacrifices.

- Hélas ! Seuls les dieux décident de la vie ou de la mort... comprit Faustula, effondrée.

 

 

FIN

Date de dernière mise à jour : 19/10/2018

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